LE PROPOS
Deux corps imbriqués. Les sueurs se mélangent. Le rythme des cœurs s’accélère. Les bassins vont et viennent à l'unisson, les dos se voussent puis se cambrent... Bientôt le calme revient car le cheval repasse au pas.
Les « arts cavaliers » ne sont-ils pas une étonnante métaphore de l'acte d'amour ? Quand l'écoute de l'autre conduit au sublime dans une quête jamais assouvie tout à fait d'un bonheur à deux. Une union sans descendance, juste la beauté de l'instant, de l'acte. L'illustration parfaite de l'Amor Fati. Le voltigeur ne subit pas le galop de son cheval. A la recherche du saut parfait – existe-t-il?- il s'imprègne de son tempo, un peu trop lent ou affolé, il en savoure toute la puissance, inexorable, mesure l'intelligence de ses pieds à la rattrape des arythmies.
L'amour....Quête universelle. Vaine? Par une succession de tranches de vie, il s'agit de donner à voir des representations de l'amour. Mais l'amour, qu'est ce que c'est ? Comment donner à voir ce sentiment, le faire vivre et vibrer sur une piste
nue ? Des hommes, des femmes, des cavaliers, des danseurs ou des montures, chacun cherche sa place et son désir premier. Des images se suivent, des sensations naissent et les questions affleurent. Il est question de l'Amour, des hommes, des femmes, des parents, des héros ou pas. Il est question de Nous, sensibles, sensuels, sensationnels ou sans intérêt...
La matière
Débarrassé de son harnais, le cheval rendu à sa liberté, baisse la tête, renifle le sol, le gratte de son sabot, semble hésiter, gratte encore puis s'agenouille et, finalement, se couche. Il se roule avec un plaisir visible, souillant sa robe et ses crins dans le sable et la boue, laissant échapper un râle de plaisir. Après quoi, il se relève et enfin s'ébroue, sale et satisfait. Robe immaculée et crins brillants sont oubliés comme l'obstination vaine du diligent palefrenier. Le noir est devenu gris et le blanc aussi. La bête a retrouvé sa vraie nature et voilà la masse musculeuse du puissant percheron protégée par une dérisoire armure de poussière. Faite de terre, la piste ronde de 13 mètres, inventée pour le travail des chevaux, est l'élément scénographique essentiel du cirque êquestre. Mêlée de sciure, de sable et de crottin, d'un peu de nos ancêtres redevenus poussière, cette matière offre aux chevaux et aux artistes un terrain de jeu. On y amortit la chute et y puise l'énergie des sauts les plus aériens. On y cultive sa subsistance autant qu'on y prépare le lit de son dernier repos. Dans Amor Fati, on explorera le rapport à la matière par une recherche chorégraphique sur le sol palpé, gratté et sur le corps « sali » de terre.
La danse
Grâce au travail mené auprès du chorégraphe basque German Youregui, nous cherchons ici à définir un langage commun entre les différents protagonistes de cette pièce, artistes aux profils variés, certains danseurs, d'autres non.
Basée sur un travail d'improvisation, la recherche nous a mené à écrire certaines chorégraphies de groupe, au-quelles font écho d'autres gestes circassiens présentés en solo.
Le choeur représente une métaphore de la société, tantôt magma sensuel, chaud et rassurant, tantôt escadron dictant la bonne conduite.
La musique
Grâce aux compositions sonores de Raphaël Barani faites de sons captés durant les différentes sessions de recherche, parmi lesquelles pulsations cardiaques, souffles et battues de chevaux, la rythmique sera particulièrement développée.
Les artistes viendront eux-même donner vie à cet univers de façon plus mélodique.
Certains sont musiciens: Latifeh joue de la harpe, Simon de la clarinette et du tuba, Zoé chante et Lucas est percussionniste et batteur.
Anne-Laure Poulain, dirige la mise en voix du spectacle et amène ces six artistes "non chanteurs" à un travail vocal basé sur l'écoute des autres, dans un registre empruntant à Hendel, Cesaria Evora ou encore à des chants traditionnels d'Europe centrale ou d'Amérique Latine.
"Mon métier de chanteuse n'a de sens que si je peux transmettre à tout un chacun les outils autorisant à vivre et goûter de l'intérieur par l'exploration et la pratique, la joie de jouer avec sa voix dans la rencontre de l'autre ."
Anne-Laure Poulain
Le cirque
Notre désir commun de mêler les différentes disciplines de la scène nous conduit, Olivier et moi, à concevoir le travail équestre comme une composante d'un tout et à relever le défi d'équilibrer la forte présence animale et celle des Hommes sans céder à la facilité d'une démonstration de beauté équine gratuite.
Avec les chevaux nous re-visiterons donc des classiques du cirque équestre comme la voltige, le Jockey d'Epsom ou la pyramide.
Ils seront aussi présentés en liberté et donneront, par leurs improvisations, un appui à notre recherche globale centrée sur l'écoute de l'autre.
Le trapèze Washington, de par son mouvement pendulaire, viendra contrer la circularité des chevaux évoluant en piste.
On pourra y voir une évocation du rapport au temps et de son incidence sur nos vies amoureuses, des mêmes sentiments qu'on n'éprouve pas forcément au même moment.
Le mallakhamb est, à l'origine, une discipline martiale cousine du Kalarippayatt.
Placé au centre de la piste, ce mât indien servira de contrepoint au travail équestre.
Agrès inerte, il s'oppose en effet radicalement au partenaire-cheval.
Par ailleurs, grâce à sa position de pivot, celui qui le pratique peut observer de façon unique et privilégiée le cheval et le voltigeur, tout comme les approcher efficacement et sans effort, rendant toute fuite au galop parfaitement vaine.
Cette force, tout comme la connotation phallique incontestable de cet objet, en font un symbole de domination, avec lequel nous jouerons."